Cette conférence a été initiée et organisée par Workplace Magazine et concoctée avec un panel d’experts et de partenaires constitué pour l’occasion. La parution concomitante d’un Hors-série dédié aux dernières réflexions et pratiques innovantes en Facilities Management (FM) vient richement compléter une rencontre déjà très instructive.
Menée sans temps mort par la rédactrice en chef de Workplace, cette matinée d’échange a été source de nombreux enseignements sur les enjeux actuels du FM et ses tendances stratégiques.
Prestataires, donneurs d’ordre, dirigeants, chercheurs, marketeurs, juristes : une centaine de personnes figurait au rendez-vous. Tous étaient là pour écouter, témoigner et préparer l’avenir de ce secteur économique en pleine croissance mondiale mais encore en cours de structuration en France.
Le constat : du BtoB au BtoBtoC !
Le FM passe petit à petit en France d’une logique BtoB plutôt technique à une logique servicielle qui doit s’adresser davantage à l’utilisateur final. Soit du BtoBtoC !
Nathalie Damery (Présidente de L’Obsoco) a ouvert les débats par un parallèle avec les bouleversements à l’œuvre dans le secteur du Commerce. La vente connaît aujourd’hui 3 grandes mutations (économiques, techniques et sociétales) qui placent le client au centre des préoccupations commerciales.
Davantage que le produit, c’est le consommateur qui créé de la valeur.
Pour en tirer bénéfice, les marques vont l’accompagner dans la résolution de ses problèmes. Elles vont l’informer et le conseiller. Certaines vont lui permettre d’essayer le produit (la plupart des sites de ventes en ligne) ou de le customiser (Lego, Decathlon). D’autres encore vont jusqu’à le former (Leroy-Merlin) ou le socialiser (Adidas, SNCF).
Le Commerce bascule vers l’économie des « effets utiles ».
Cette évolution majeure dans l’histoire du Commerce contamine tout le secteur tertiaire et touche aussi le Facilities Management. Conscient d’un gisement latent de marchés, les prestataires FM, les premiers, cherchent à capter l’attention de nouveaux clients. Ils leur proposent tout un bouquet de services pour répondre à l’ensemble des besoins (exprimés ou non) de leur entreprise. C’est l’essor, par exemple, des conciergeries réelles et virtuelles d’Elior Services.
Car si depuis l’origine, la première valeur du FM était économique, la tendance change depuis quelques années. La réduction des coûts et l’amélioration de la performance énergétique ne sont plus l’alpha et l’oméga des contrats FM. Le bâtiment devient un support aux services. Le FMer va révéler le potentiel « d’effets utiles » du bâtiment.
Xavier Baron rappelle que « les entreprises cherchent davantage la performance de leurs salariés que leur confort ou leur bien-être au travail ». Alors, rendre le collaborateur efficace peut être une mission du Facility Manager qui sera particulièrement séduisante pour son donneur d’ordre…
Engie-Cofély teste aujourd’hui les « contrats à l’usage ». Et des collectivités locales sortent des marchés focalisés sur les bénéfices d’usage. Par exemple, certaines soumettent la réfection et l’entretien de leur voirie en exigeant des résultats en terme de diminution du nombre d’accidents.
La mesure de l’impact sur les bénéficiaires finaux commence à apparaître dans les appels d’offre. Un contrat FM demande donc non seulement une bonne connaissance des affaires mais aussi de comprendre les besoins de l’utilisateur final.
Le Facilities Management passe donc du BtoB au BtoBtoC dans une logique où le FMer maîtrise le B (de Business) et où il apprend à comprendre le C (comme Consumer).
Chez Samsic Facilities, on avoue développer l’axe conciergerie en entreprise pour mieux connaître l’utilisateur final. Les concierges sur le terrain font remonter des informations sur les usages et le fonctionnement du site au FMer.
Amélie Véron (Dirigeante d’Amazon Business France) a bien montré comment sa firme concentre tous ses efforts sur la relation client. Amazon cherche à lui simplifier la vie au maximum : achat en 3 clics et livraison en 1 jour. L’objectif ultime : vendre tout, partout, tout le temps et vite. Amazon Business, qui n’envisage pas de s’ouvrir à l’univers de la vente de services, signe des accords avec les sociétés pour que leurs employés fassent facilement les courses de l’entreprise. Et ça marche !
Sur la Market place pro, un code couleur simplifie la démarche d’achat : vert (autorisé par l’entreprise), orange (achat soumis à validation) et rouge (interdit !). Ce système simple a permis aux ventes de décoller. Les produits les plus vendus aux entreprises françaises y sont naturellement les fournitures de bureau et les accessoires informatiques. Mais, à l’instar des Etats-Unis, les salariés français vont acheter de plus en plus des produits de maintenance, d’entretien et d’épicerie.
Si les produits achetés évoluent, les comportements d’achat aussi. Les millenials achètent pour leur boîte même de leur domicile le week-end… Simple et efficace, le service rendu devient presque plus important que le produit.
La relation client est bien génératrice de valeur !
L’enjeu : ouvrir le marché !
Dans le secteur du Facilities Management, le client est créateur de valeur. Il a à la fois l’usage général du bâtiment à maintenir et des besoins particuliers en entreprise à satisfaire.
Le secteur du FM entame donc cette évolution vers le BtoBtoC. La relation devient tripartite : prestataire FM-entreprise cliente-utilisateur final. Et le service rendu devient la clé de la relation client. Et effectivement, les sociétés spécialisées en FM cherchent de plus en plus à positionner l’usage et les bénéficiaires finaux au cœur de leur stratégie de développement.
Et ce n’est pas dans un seul souci marketing. Si l’extension de leur catalogue de services satisfait les salariés, il intéresse les dirigeants qui y voient un moyen d’améliorer la productivité de leurs collaborateurs. Avoir des solutions de restauration, de stationnement, de garderie, d’épicerie ou de conciergerie permet aux sociétés de conserver leurs employés sur leur lieu de travail.
Mais comment développer le service rendu, la relation client sans augmenter les coûts ? Les entreprises clientes sont-elles prêtes à payer ?
Au moment de renégocier leurs contrats FM (tous les 3 ans en moyenne), elles expriment aujourd’hui 3 attentes :
- satisfaire les besoins des collaborateurs liés aux environnements de travail ;
- estimer les économies de fonctionnement ;
- mesurer la performance des services.
Samsic FM et Elior Services commencent à analyser les données disponibles par le biais de l’Intelligence Artificielle (IA). Les informations des sites faisant l’objet de contrats remontent de plusieurs manières :
- via les œuvrants sur le terrain ;
- via des enquêtes de satisfaction ;
- par les outils informatiques : GTB, GTC, GMAO…
- par des systèmes technologiques plus pointus issus de l’Internet des Objets (IOT) ou du BIM.
Cet ensemble complexe de données hétéroclites peut être traité par un Data Manager. Il va les analyser pour en tirer des enseignements. En s’en emparant le Facilities Manager peut envisager des actions correctives, de nouveaux services, voire une nouvelle approche. En les partageant avec son client, il doit permettre à l’entreprise de mieux se connaître pour lui proposer les services les plus adaptés.
La réponse : augmenter les effets utiles !
Le FMer doit co-construire des démarches de progrès avec son Donneur d’Ordre et l’usager final. Pour cela, son intérêt est de dépasser la logique de services pour aller vers celles « d’effets utiles ».
Les démarches de progrès sont à co-construire entre le donneur d’ordre, l’usager du service et leur prestataire-conseil en Facilities Management. Ce dernier doit être capable de leur répondre en dépassant la logique de services pour aller vers celles « d’effets utiles ».
Patrice Vuidel (consultant Atemis) insiste sur « la différence entre nettoyer et faire en sorte que cela soit propre ». De même, on doit porter ses efforts pour éviter que les équipements tombent en panne plutôt que réparer, sécuriser plutôt que risquer l’accident, etc.
De nombreuses solutions d’amélioration peuvent donc être soumises à l’attention des entreprises. Quel client FM ne rêve pas d’avoir un environnement de travail plus propre, plus sécurisé, plus entretenu, plus accueillant et plus utile ?
Pour Joël Larousse de l’ARSEG, « la demande est là, la menace existe mais le chemin est balisé. Alors, qu’attendons-nous ? Amazon n’a pas eu besoin de référentiel pour bousculer le marché ! Ce qui fait sens et valeur pour le donneur d’ordre aujourd’hui c’est l’innovation et l’expérimentation ».
Hassan Basraoui souligne qu’« il faut valoriser le client car cela va le fidéliser ». Pour Elior Services, il met un soin particulier à comprendre les besoins de ses commanditaires et de leurs utilisateurs finaux pour leur offrir une meilleure qualité de service à un coût acceptable et une marge honnête.
Cependant, les clients du Facility Management ont des maturités différentes. Certains vont être des acheteurs basiques intéressés uniquement par la réduction des coûts à tout prix. D’autres, de plus en plus nombreux, vont se laisser tenter par une démarche servicielle plus ouverte et innovante.
Orange, Thales sont déjà de ceux-là. Une offre de services a été expérimentée chez Thales dans le cadre d’un contrat prototype. Son analyse a permis de retoucher l’offre et le contrat définitifs.
Patrice Vuidel d’Atemis estime que « si l’on sait apprécier les coûts de notre intervention chez le client, on sait moins en apprécier la valeur ». Or l’effet utile fait sens dans la démarche commerciale.
Pour améliorer le service et la relation client, il faut selon lui questionner 3 dimensions :
- la performance des bâtiments : coûts, énergies, environnement…
- les enjeux du client : RH, RSE, confort de travail, image…
- les services aux collaborateurs, aux utilisateurs et aux usagers.
Par leur proximité avec les utilisateurs du site, les œuvrants (techniciens de maintenance, agents d’entretien, de sécurité, d’accueil ou de conciergerie) vont pouvoir renseigner sur son fonctionnement et ses usages. Mais ils vont pouvoir, et parfois même devoir, prendre des initiatives ou partager avec le client un enjeu (de propreté, de sécurité, d’accueil, etc.).
C’est la « pertinence située ».
Le modèle technico-financier de compression maximum des dépenses bâtimentaires cher aux responsables des achats et des services généraux est dépassé. Il a fait preuve depuis longtemps de son impact négatif en dégradant la qualité de service.
En revanche, les modèles serviciels qui mettent en œuvre la « performance d’usage » accroissent la valeur du service. Il est alors possible d’obtenir un paiement pour la valeur générée. Tout l’enjeu néanmoins est de parvenir à faire reconnaître que cette « valeur générée » a un coût.
En conclusion, Nicolas Cugier de Thalès et du CRDIA pose une question moins anodine qu’il n’y paraît. « Si l’on connaît le coût du sourire de l’hôtesse, on n’en connaît pas sa valeur ! ».
Et c’est toute la difficulté du Facilities Management aujourd’hui, et probablement même du secteur tertiaire en général : faire constater des économies quantifiables à court terme et des bénéfices non mesurables mais majeurs à long terme.
Une conférence majeure sur l’évolution du Facility Management en France vient de se dérouler à HEC Paris. Elle a tenu toutes les promesses figurant au programme de l’invitation. Il fallait en être pour comprendre le renouvellement stratégique de ce secteur de plus en plus centré sur les services à l’entreprise et à ses collaborateurs.